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Critique Littéraire

Sous ce terme nous résumons toute tâche dont l'objectif est l'interprétation : philologie, commentaire littéraire, herméneutique, exégétique, etc. s'intègrent bien dans le cadre d'une assistance par un modèle informatique basé sur la SII. Cette perspective d'application ne doit pas surprendre : tout notre travail a été, dès le départ, centré autour des questions de compréhension d'un texte, à l'aide des principes d'une théorie de l'interprétation.

Dans ce cadre applicatif, un peu trop bien adapté à la SII, nous ne présentons que les besoins d'un certain nombre de tâches << transversales >> qui n'ont pas été directement abordées dans les chapitres précédents :

analyse de la charge sémique d'un terme :
une tâche familière à une sémantique lexicale prend ici une dimension contextuelle forte. La SII ne permet pas l'attribution sémique sur une entité qui n'est pas positionnée dans un contexte textuel. Ceci implique qu'une analyse lexicale doit prendre en compte les textes, ainsi que les anagnoses, dans lesquels le terme a obtenu une charge sémique6.5. Les notions d'acception et d'emploi, utilisées de manière plus ou moins arbitraire dans les dictionnaires de langue (cf. la discussion dans [56, p.64 et sq.]), peuvent, dans ce cadre, donner leur place à une notion plus générale d'usage en contexte, i.e. d'un usage intertextuellement caractérisé. Trois intertextes sont possibles dans le cadre de la SII:

Dans une telle application, les traits sémantiques (pouvant aussi être issus d'une relation dialectique à laquelle le terme participe) doivent être présentés de manière organisée, classifiés selon l'étendue textuelle de leur validité. Une validité définie par le lecteur ou retrouvée par le système après des rapprochements entre classes. Nous examinons ensuite quelques nouveaux besoins concernant deux tâches relatives.

analyse diachronique d'un terme :
pour répondre aux besoins particuliers de ce type d'analyse, il suffit d'utiliser les traits sémantiques de type << écrit en >>, représentés par exemple à l'aide d'une nouvelle primitive concernant les textes entiers. Effectivement il s'agit de traits sémantiques qui peuvent être attribués seulement à des textes entiers, donnant lieu à des CS de niveau intertextuel.

Le système peut utiliser ces traits pour classifier les textes par rapport à leur chronologie d'apparition. À la demande de l'utilisateur, le système peut aussi organiser les traits sémantiques d'un terme en s'appuyant sur les chronologies des textes où chacun des traits a été identifié. En d'autres termes, une CS entière obtient une détermination chronologique, respectivement à la chronologie du texte où elle est située. Les traits sémantiques issus de cette CS (et caractérisant des éléments effectifs de la CS) héritent cette information temporelle.

Ensuite, une évolution de la signification du terme en diachronie peut être représentée à l'aide de structures tactiques (cf. plus haut ) dont le << rythme >> concerne cette fois l'ordre temporel des différentes significations du terme.

unité sémantique d'un texte :
préoccupation centrale dans la Sémantique Interprétative [56], l'unité sémantique d'un texte est principalement étudiée par rapport au sens de son << contenu textuel >>, de son intra textuel.

Nous proposons une deuxième facette, aussi importante à l'unicité d'un texte, cette fois par rapport à un intertexte.

En d'autres termes nous proposons une analyse de la spécificité sémantique d'un texte. Pour ce faire, il nous faut bien sûr prendre en compte le contenu sémantique du texte mais aussi et surtout les contenus des autres textes par rapport auxquels la comparaison est effectuée.

Aussi, faut-il un intertexte adapté aux besoins de cette tâche, c.-à-d. un intertexte avec au moins un trait commun entre tous les textes qui y participent (on compare des textes déjà reliés) ; par exemple un intertexte qui rassemble des textes qui appartiennent, tous, à un certain genre. En d'autres termes, la spécificité doit être établie au sein d'une certaine unicité. À l'image d'un taxème qui organise les spécificités d'un ensemble de lexies6.6 qui ont au moins un trait sémantique commun (sème générique).

C'est d'ailleurs d'un taxème de niveau intertextuel que nous parlons ici. L'anagnose contient les éléments (c.-à-d. les textes) et les CS intertextuelles établissent les spécificités entre les textes. Bien sûr, il existe des différences. Au niveau textuel, les traits sémantiques sont issus :

Souligner la spécificité d'un texte au sein d'un corpus de textes revient donc à établir les structures sémantiques qui :

1o,
le rapprochent aux autres textes (à l'aide d'une ou plusieurs ICS) et, surtout,
2o,
l'opposent aux autres textes, à l'aide d' ICS qui décrivent des oppositions entre les CS intratextuelles.

L'originalité sémantique d'un texte par rapport à un corpus sera directement proportionnelle au nombre de ces ICS qui l'opposent aux autres textes du corpus. Nous donnons ainsi, en perspective, un premier indice d'une originalité textuelle définie intertextuellement.

analyse intertextuelle :
plus particulièrement, il s'agit de la justification d'une relation intertextuelle supposée. Une tâche qui, visiblement, a intrigué les théoriciens sur l'intertextualité, jusqu'au point d'établir des règles pour identifier les allusions intertextuelles (cf. par exemple [6]). Dans le cadre de la SII, démontrer une allusion intertextuelle revient à établir une ICS qui relie sémantiquement les deux intratextes. Et puisqu'une classe sémantique demande toujours les sources sémiques qui l'ont établie, il devient systématiquement nécessaire de retrouver les interprétants sémantiques dont a besoin le parcours interprétatif qui justifie l'allusion. En d'autres termes, l'intégration sémantique d'une relation intertextuelle dans le texte sert, aussi, à justifier son choix parmi le (sans doute) grand nombre de possibilités ; une relation intertextuelle qui s'intègre bien aux classes sémantiques du texte tout en les enrichissant et en les complétant, est plus difficilement contestable.

Par exemple, imaginons que le lecteur a aperçu l'allusion entre la strophe de l'océan des Chants de Maldoror6.8 et La Fontaine :

Vieil océan, ta grandeur matérielle ne peut se comparer qu'à la mesure qu'on se fait de ce qu'il a fallu de puissance active pour engendrer la totalité de ta masse. On ne peut pas t'embrasser d'un coup d'\oeil. (...) L'homme mange des substances nourrissantes, et fait d'autres efforts, dignes d'un meilleur sort, pour paraître gras. Qu'elle se gonfle tant qu'elle voudra cette adorable grenouille. Sois tranquille, elle ne t'égalera pas en grosseur (...)
Même si, dans ce cas, l'allusion au conte de la grenouille et du b\oeuf est assez claire, le lecteur a toujours intérêt à établir le contexte sémantique qui lui permet de justifier pourquoi une telle relation intertextuelle enrichit la compréhension du texte (surtout dans les cas plus délicats, où l'allusion peut être contestée).

Dans le cadre de la SII il faut établir une relation de la forme CS entre l'actant 'homme' et 'grenouille' dans Lautréamont ( (...) cette adorable grenouille ; dans ce cas la CS est de niveau k=0). En utilisant cette classe comme interprétant, il faut ensuite créer une ICS qui met en correspondance des traits de l'acteur 'homme' dans Lautréamont avec l'acteur 'grenouille' dans La Fontaine. Une fois cette ICS bien établie, nous pouvons l'utiliser comme interprétant pour établir une CS de niveau intertextuel entre les deux textes entiers (e.g. relation intertextuelle de type 'allusion'). En se basant sur elle et sur l' ICS qui relie 'homme' chez Lautréamont et 'grenouille' chez La Fontaine, on peut ensuite transmettre des traits sémantiques de 'grenouille', retrouvés dans La Fontaine, vers 'homme' de Lautréamont, et de 'b\oeuf' vers 'océan'. On peut ainsi vérifier jusqu'à quel point les deux acteurs (et leurs contextes) sont proches, c.-à-d. combien de traits de 'grenouille' (et de 'b\oeuf') peuvent être attribués à 'homme' (et à 'océan') sans créer des oppositions au sein des classes sémantiques concernant ces acteurs dans Lautréamont6.9. Ainsi L. Jenny distingue de degrés d'intertextualité, en caractérisant d'intertextualité << faible >> << l'allusion que Lautréamont fait à Musset en employant l'image du Pélican qui ``donne sa poitrine à dévorer à ses petits'' au chant V strophe 12 des Chants de Maldoror, strophe du Fossoyeur >> (p.262-263, [39]) et même de non-intertextualité, car << le rôle thématique de cette image est sans rapport dans les deux textes >> (ibid.) ; tandis que << la strophe du Fossoyeur, prise dans sa totalité, est dans un rapport intertextuel avec Hamlet, V, 1. La ``ressemblance'' ne se limite plus à une image, elle s'étend à une situation dramatique tout entière : (...) un réseau de corrélations se tisse entre le caractère des protagonistes, leurs discours respectifs et leur situation par rapport à la tombe ouverte >> (ibid.).

Ce processus peut vraisemblablement sembler trivial dans un cas pareil, mais demande un grand effort pour des allusions qui sont difficilement identifiables.

Nous voulons aussi remarquer que la construction des CS et ICS présentée plus haut concerne le formalisme et ne détermine pas l'ordre des opérations d'un utilisateur du système. Le lecteur peut opérer de << haut en bas >> en établissant initialement une présupposition (présomption de relation intertextuelle) dans son dictionnaire personnel (un texte spécial dans l'anagnose servant de dépositaire des attributions sémantiques qui n'ont pas encore été justifiées sémantiquement par ailleurs), puis en construisant les interprétants sémantiques nécessaires, issus des deux textes.

enseignement des techniques interprétatives :
un cadre d'assistance à l'interprétation peut facilement être transformé à un assistant éducatif, qui oriente l'élève en l'introduisant à une méthodologie interprétative concrète (la SII) et en lui permettant de << naviguer >> parmi les structures sémiques établies par un expert. Il suffit d'enrichir le système avec quelques fonctionnalités supplémentaires. Par exemple :


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Theodore Thlivitis, 1998