Le principe de la triple détermination du sens est aussi valable pour un texte entier mais, peut-être, le raisonnement est plus difficile à suivre dans ce cas. Dans la Sémantique Interprétative, qui a tout de même étendu l'étude linguistique depuis la phrase vers le texte entier, le texte constitue la plus large unité étudiée, dans la mesure où il constitue le correct niveau d'émergence des phénomènes de sens.
Mais lors d'une analyse, on ne peut pas ignorer la matière textuelle dans laquelle on situe implicitement ou explicitement le texte. Les présupposés, connaissances du domaine, normes codifiées donnant lieu à des stabilités sémantiques (topoï ou autres) sont en partie issus d'une masse textuelle qui constitue une entité englobant le texte. Un lieu où le texte interagit avec les autres entités textuelles (les autres textes) selon les besoins, objectifs, intuitions du lecteur. À l'image d'un auteur, mais à un autre niveau, le lecteur crée et modifie cette nouvelle entité textuelle, en instaurant de nouvelles proximités, de nouvelles dépendances ou libertés, bref de nouveaux rapports entre textes, pour privilégier (ou annihiler) ainsi certaines afférences plutôt que d'autres.
Nous constatons alors que le texte, hors un contexte d'analyse, ne peut avoir qu'une signification relativement pauvre par rapport à son sens obtenu dans une pratique d'analyse philologique, au sein d'une << société de textes >> qui contraint, enrichit ou rectifie l'interprétation de ses parties.
Par exemple, un texte, au sein du contexte de l'analyse d'un commentateur, constitue une << occurrence >> d'un texte << type >>. Il obtient donc une description sémantique propre dans l'analyse précise du commentateur. Une description sémantique qui reste, bien sûr, influencée par le contenu du texte type (i.e. des mots et des expressions du texte), mais qui reçoit une interprétation dans et influencée par son contexte dans l'analyse actuelle, qui englobe le texte occurrence et le charge de présomptions sémantiques.
Examinons pour l'instant la charge sémantique d'une entité intratextuelle (e.g. lexie). Dès qu'on ne s'intéresse plus uniquement à analyser une seule fois un seul texte, une organisation sémique dépendant uniquement du texte n'est pas suffisante. Pour pouvoir réutiliser l'information sémantique à travers différentes analyses, nous devons établir des liens entre les structures sémantiques établies dans chacune. Ces liens traversent les limites du texte et même de l'analyse, tout en constituant des résultats d'une ou plusieurs interprétations. Nous sommes ainsi obligés de considérer des classes sémantiques plus globales, concernant deux ou plusieurs textes entiers d'une même analyse, voire d'analyses différentes. De cette manière, nous pouvons organiser et réutiliser une classe sémantique à travers plusieurs intratextes (en vue de l'appliquer à d'autres intratextes), ou, au contraire, situer les classes selon différents points de vue (e.g. différents commentaires du même texte).
Par exemple, comme nous allons le voir mieux plus bas, la notion de taxème (i.e. ensemble (minimal) de définition opératoire de sémèmes) ne suffit pas pour décrire les enjeux sémantiques dans les différentes localités textuelles. Une notion de classe sémantique << positionnée >> au sein d'une localité textuelle permet de distinguer entre les différents << usages >> d'un sémème. Cette position peut être un texte (relevant d'un usage plutôt idiolectal, cf. [56]), un ensemble de textes (relevant d'un usage soit idiolectal, si par exemple les textes concernent le même auteur, soit sociolectal) ou bien la production d'une langue3.7 (ce qui relève d'un usage qui atteint les limites du dialecte).
En somme, pour organiser sémantiquement plus d'une analyse, nous avons besoin de classes sémantiques qui concernent différentes zones de localité :