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Positionnement d'une classe

 

Nous avons critiqué auparavant l'intérêt informatique d'un ensemble de définition de sémèmes en langue (i.e. du taxème) car les sèmes qu'il fournit ne sont pas plus pertinents pour une analyse que les sèmes plus locaux, provenant du contexte de la production et de l'interprétation d'un texte. La notion de taxème est malgré tout indispensable, car elle réalise le besoin fondamental de constituer des classes opératoires, dans le contexte d'une sémantique différentielle. D'un côté, parce qu'il offre un cadre pour les relations sémiques de différence et de spécificité qui sont définies entre les éléments d'un taxème (et implicitement entre deux taxèmes pour lesquels nous n'allons pas utiliser le même nom). D'un autre côté, parce qu'il permet la constitution d'isotopies, à l'aide d'une notion d'identité entre les sèmes établis par les relations sémiques précédentes.

Nous avons donc intérêt à définir et utiliser de tels ensembles de définition (et, plus généralement, de classes sémantiques). Mais nous les adaptons aux besoins présentés jusqu'ici. Et tout d'abord au besoin de positionnement textuel.

Un taxème est pertinent en langue, c.-à-d. à l'ensemble de la production d'une langue3.33, ce qui veut dire qu'il est applicable, puisque grandement stable, par défaut, à toute occurrence de ses lexies, dans n'importe quel texte de n'importe quelle anagnose. Une classe sémantique généralisée est pertinente au sein d'une << localité textuelle >> précise, de niveau déterminé. Par exemple, une CS peut avoir une pertinence sociolectale (être, par exemple, un topos) au sein d'une anagnose, tandis qu'une autre, une pertinence idiolectale (classe de signification contextuelle) au sein d'un texte.

Plus précisément, une CS est << positionnée >> dans une entité textuelle. Cette dernière opère comme son contexte d'<< opérationnalité >> ou de << saillance >>. Ceci ne veut pas dire qu'une classe de sémèmes, << positionnée >> dans un ensemble de textes d'une certaine période, est forcément applicable à toutes les occurrences des sémèmes dans les textes de cet ensemble. Elle est simplement applicable par défaut, c.-à-d. si aucune classe plus << locale >> n'empêche son application en actualisant des sèmes incompatibles. Ce phénomène est discuté pour les sèmes inhérents d'un taxème dans [56, e.g. p.83] : ils peuvent être actualisés dans un texte sauf s'ils sont masqués (virtualisés) par une classe plus locale.

Par analogie terminologique, nous pourrions considérer que les traits sémantiques par lesquels une CS caractérise ses éléments, sont inhérents aux éléments dans le cadre de l'entité textuelle où la CS est positionnée (i.e. l'anagnose ou le texte). Si l'univers textuel se limite à cette entité textuelle cadre, les traits de la CS organisent sémantiquement ses éléments et ils sont attribués par défaut à d'autres occurrences des mêmes éléments au sein de l'univers textuel précis. Comme le terme inhérent est réservé pour les traits définitoires en langue, nous préférons garder le terme afférence par défaut pour une attribution sémique qui est issue d'une classe sémantique dont la localité de positionnement contient l'entité textuelle qui reçoit l'attribution.

Les mécanismes de suggestion informatique peuvent être ajustés conformément, privilégiant le << passage >> (afférence par défaut) de traits sémantiques vers des entités textuelles appartenant à la localité de positionnement de la classe. Nous remarquons cependant que ce << passage >> n'a rien d'obligatoire : la localité de positionnement désigne quelques éléments textuels où la classe sémantique est potentiellement utilisable.

Généralement donc, nous pouvons affirmer que si le global contraint et détermine le local, ce dernier l'emporte quant à la pertinence sémique. Non pas en tant qu'unités locales indépendantes (dont la signification est très souvent impertinente en contexte), mais, au contraire, en tant que localités voisines dont les relations sémiques mutuelles contraignent la détermination du sens venant de l'entité englobante. Nous retrouvons ainsi la direction horizontale de la détermination sémantique, p.[*].

Examinons à présent quelles sont les << localités textuelles >> qui peuvent devenir des contextes de positionnement d'une classe.

Prenons le cas d'une classe de sémèmes et examinons les différentes zones de localité textuelle où une telle classe peut être définie. Nous disons bien définie, car c'est dès le moment de sa définition que le lecteur fait le choix de l'étendue de la pertinence d'une classe, implicitement ou explicitement, quitte, bien sûr, à la modifier ensuite.

En fait, le texte, l'anagnose et l'interanagnose constituent des localités textuelles correspondant aux différents paliers de systématicité qu'une classe sémantique peut réclamer dans sa constitution. Elles portent toutes la perspective opératoire d'une analyse. Par exemple, le sémème 'sirène' aura l'attribution de /mythique/ et /maritime/ dans une classe située à l'interanagnose, l'attribution de /femme séduisante/ dans une classe située à une anagnose (des poèmes romantiques), et l'attribution de /chimère/ dans une classe intratextuelle lors de l'analyse de << Salut >> de Mallarmé dans [57, p.234].

Nous créons ainsi des classes positionnées aux différents niveaux de localités textuelles selon différents degrés de stabilité et étendue de validité.

Cette détermination sémantique modulée permet d'identifier les régularités sémantiques valides au sein de chaque niveau de textualité (e.g. des topoï) et de les organiser pour pouvoir les réutiliser devant un objectif d'automatisation : le système informatique peut de cette manière tenter des suggestions sémiques en cherchant, dans l'ordre, d'abord les classes positionnées dans la plus restreinte localité, ensuite les classes plus génériques.

Réciproquement, un usage particulier dans l'idiolecte d'un auteur peut facilement être repéré en identifiant une classe locale qui << masque >> une classe venant d'un niveau de textualité supérieur.

L'organisation en classes sémantiques positionnées permet en d'autres termes le passage direct à un dictionnaire respectant les principes de la Sémantique Interprétative. En respectant le positionnement d'une classe sémantique généralisée, une lexie peut prendre :

1.
un sens en langue (stabilisation au niveau interanagnose),
2.
une acception en société (stabilisation au niveau interanagnose ou au niveau anagnose, pour une anagnose assez large),
3.
un emploi dans un idiolecte (stabilisation au niveau intratexte ou au niveau anagnose, e.g. pour un idiome (spécificité) interprétative).



 
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Theodore Thlivitis, 1998