Pendant ce travail, qui reprend la Sémantique Interprétative et les
théories de l'intertextualité et les réinterprète synthétiquement en
tant que méthodes (outils) théoriques pour les besoins applicatifs
d'un cadre opératoire unifié, la Sémantique Interprétative
Intertextuelle, nous avons fait quelques constatations et nous avons
établi quelques hypothèses que nous allons essayer, dans les chapitres
qui suivent, de rendre opératoires :
- Pour comprendre une partie d'un texte (que ce soit un mot,
une phase ou un texte entier) nous avons fait remarquer qu'il faut
sortir de cette partie et la mettre en rapport avec des
sources sémantiques externes.
Pour le mot et la phrase ceci est évident. Pour le texte, il est
très souvent nécessaire d'utiliser explicitement des informations
dans de commentaires, notes biographiques, textes du même genre,
etc. sans compter les références implicites ou explicites aux
dictionnaires, encyclopédies, etc. Elles constituent, toutes, des
ressources textuelles externes au texte
- Le sens n'est donc nullement immanent à une partie
textuelle. Nous utilisons un principe de triple détermination
du sens d'une entité textuelle :
- des parties textuelles vers l'entité (local
global)
- de l'entité englobant l'entité vers l'entité (global
local)
- des autres entités << voisines >> dans l'entité englobante
(local
local, au sein d'une localité
englobante)
Seulement la première des trois directions concerne un sens immanent.
- Cela veut dire que la matière textuelle est toujours contextualisée. Inscrite dans un quasi-monde de textes, où
la référence au monde est remplacée par une référence au monde
textuel, cette contextualisation est comprise en
tant que positionnement textuel entre les entités de
différents niveaux.
- Nous utilisons trois niveaux de textualité et donc trois types
de positionnement textuel : l'intratexte situé dans le texte, le
texte situé dans l'anagnose et l'intertexte situé dans une seule
entité textuelle (sorte de racine) englobant la textualité entière
- Le responsable principal pour cette mise en rapport du
premier point de cette liste, reste l'agent humain, que nous
désignons par le terme abstrait de lecteur. La matière
textuelle a beau avoir une charge sémantique standard et
généralement acceptée, le lecteur a toujours la possibilité
d'établir sa propre interprétation
- Dans un tel environnement théorique, le système informatique n'a
pas vocation de restreindre les possibilités mais plutôt d' encadrer l'utilisateur dans son effort :
- en lui fournissant une méthode de travail (celle de la
Sémantique Interprétative Intertextuelle)
- en assistant son effort par des suggestions qui respectent les
principes théoriques ; ces suggestions sont rendues possibles par
l'organisation des données sémantiques dans la SII
En deux mots et en risquant d'être trop laconiques :
le
sens d'une partie d'un texte est établi par l'interaction d'un
lecteur avec un univers de textes.
Un des principes de la SII, ayant comme objectif de mieux organiser
la matière sémantique et textuelle pour une réutilisation informatique
efficace, est l'intégration de trois notions fondamentales sous le nom
de classe sémantique généralisée ( CS) : interprétation,
intertextualité et interprétant sémantique sont pris en
compte pour éviter les attributions sémiques arbitraires et/ou non
réutilisables. Une telle entreprise repose sur trois principes :
- 1.
- Il n'existe pas d'interprétation textuelle sans considérer un
intertexte
- 2.
- Il n'existe pas d'intertexte sans avoir effectué une
interprétation textuelle
- 3.
- Le rôle de l'interprétant est précisément de connecter
deux interprétations au sein de l'intertexte : un ensemble
d'interprétations issues de différents parties de l'intertexte
deviennent interprétants pour la constitution d'une nouvelle
interprétation au sein d'une autre partie de l'intertexte
L'aspect apparemment paradoxal des deux premiers points est résolu de
la manière suivante : en commençant par des interprétants triviaux et
non pris en compte dans le formalisme, nous établissons un premier
ensemble d'interprétations ; celles-ci peuvent ensuite devenir
interprétants pour la construction de nouvelles interprétations, et
ainsi de suite. Résolution se souciant sans doute du côté formel :
nous sommes conscients que les vrais mécanismes cognitifs derrière la
mise en place d'une interprétation ne semblent pas suivre cette
construction bien hiérarchisée. Mais cette question ne concerne pas
directement notre travail.
Ce mécanisme d'interprétation appuyée sur des interprétants possède la
propriété suivante. Lors de l'analyse d'une partie d'un texte le
lecteur utilise les traits sémantiques afférents : dans le cadre
de la SII cette afférence n'est pas directe mais elle doit être basée
sur des interprétants, probablement venant d'autres textes, donc des
interprétants intertextuels. Ces interprétants sont issus
précisément de l'interprétation d'autres parties textuelles. Et
pour interpréter chacune de ces parties (situées par exemple dans
différents textes) un nouvel ensemble d'interprétants aura été
nécessaire, complexifiant ainsi le parcours interprétatif. Tandis
qu'un trait sémantique inhérent en langue est issu de l'interprétation
directe d'un dictionnaire (parcours en une seule étape).
C'est d'ailleurs ce qui était prévu par F. Rastier dans
[60] : << la distinction entre sèmes afférents et sèmes
inhérents reste relative : elle ne marque une différence de degré
plutôt que de nature, si l'on considère la longueur et la complexité
des parcours interprétatifs qui permettent de les actualiser. >>
(p.55). L'intégration de l'interprétant intertextuel dans la
définition d'une CS explicite une facette de ces parcours
interprétatifs. Nous pouvons légitimement espérer que, dans le cadre
de la SII, une afférence abusive et totalement arbitraire demandera
une longue chaîne de passages << interprétation
interprétant
interprétation >>. Si ce long parcours
interprétatif ne dissuade pas un lecteur trop productif, il pourra du
moins servir à fonder des comparaisons entre différentes
interprétations.
Theodore Thlivitis, 1998