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Attribution sémique, interprétant et interprétation

Pour résumer notre vision d'une interprétation, nous considérons que toute attribution sémique sur une entité textuelle e est le résultat d'une afférence généralisée, reliant une interprétation antérieure d'une autre entité textuelle e' avec l'interprétation actuelle de l'entité textuelle e. Intuitivement parlant l'entité textuelle e' est une sorte de catalyseur qui << emmène >> sa charge sémique pour la << passer >> à l'entité e, conduisant ainsi à un ensemble d'actualisations de sèmes sur l'entité e.

L'attribution sémique dans le système que nous proposons est produite dans un contexte de telles afférences, c.-à-d. pendant la procédure de constitution d'une classe sémantique et en accord avec les autres attributions sémiques concernant la constitution de la classe. En d'autres termes une attribution sémique n'est jamais isolée mais, en << collaboration >> avec d'autres attributions, elle participe à un objectif précis, celui de la constitution d'une classe sémantique (qui représente le résultat d'une interprétation). En d'autres termes, parmi les possibles actualisations de sèmes sur une entité textuelle interprétée, seules les actualisations qui participent effectivement à une classe sémantique seront retenues.

L'attribution sémique est étroitement liée au processus même de la constitution des isotopies. Techniquement elle la précède (on établit les sèmes avant de constater leur récurrence) mais intuitivement c'est peut-être l'identification d'une isotopie -- ne serait-ce que sous forme de présomption -- qui est à l'origine des attributions sémiques : la perplexité théorique à laquelle conduisent les mécanismes qui vont << du global vers local >> et << du local vers global >> est toujours d'actualité. Pour l'instant nous pouvons seulement dire que nous considérons l'attribution sémique comme intégrée dans le processus de la constitution d'une isotopie (et plus généralement d'une classe sémantique qui est le résultat d'une interprétation). Cette vision intégrée sera mieux justifiée plus bas, lorsque nous définirons la notion de classe sémantique généralisée (cf. 3.2.6 et le chap.4).

Nous avons déjà critiqué les interprétations << arbitraires >> et nous avons postulé qu'une interprétation doit dépendre d'un ensemble de << sources sémiques >>, choisies par le lecteur. Nous pouvons maintenant préciser notre propos : ce sont plus exactement les attributions sémiques -- constituants d'une interprétation -- qui possèdent ces interprétants.

Il existe des attributions sémiques avec des interprétants morphosyntaxiques (e.g.. épithètes, parataxes, etc.) ; elles sont le résultat d'une afférence en contexte. Par exemple, << un Gascon est vantard >> contient la lexie 'vantard' qui peut être vue comme une lexicalisation du sème /vantard/ et l'on peut procéder à une attribution sémique en contexte. Nous appelons ces attributions sémiques directes, car elles sont totalement lexicalisées.  

Les classes sémantiques issues des attributions sémiques directes peuvent servir comme interprétants à de nouvelles attributions sémiques, au sein du même texte ou à d'autres textes. Et ainsi de suite, pour les classes sémantiques constituées à partir de ces nouvelles attributions sémiques.


Nous pouvons ainsi mettre en évidence quelques règles générales (ou plutôt des heuristiques dans un cadre plus proprement algorithmique) qui régissent les relations entre une attribution sémique et son interprétant. En observant les différentes possibilités de localisation entre la source et la cible d'une afférence généralisée (cf. 3.2.1), nous constatons qu'il existe une échelle d'afférences allant de l'afférence provenant du contexte direct au sein du même texte (intratextuelle), jusqu'à une afférence inter-intertextuelle, entre des éléments textuels situés dans des textes appartenant à des analyses différentes (et faisant, par conséquent, appel à différentes anagnoses). Cette hiérarchie de localisations peut donner des indices pour organiser la recherche automatique d'interprétants devant une tâche de suggestion de sources sémiques à un utilisateur qui cherche à analyser un intratexte.

Étant donné qu'une afférence idiolectale masque, en principe, une afférence issue de la pratique sociale ou même d'une stabilisation plus large au niveau de la langue, les interprétants d'une attribution sémique sont recherchés initialement dans le même intratexte (afférence intratextuelle), ensuite dans l'intratexte d'un texte voisin situé dans la même anagnose (afférence inter-intratextuelle) et, enfin, dans l'intratexte d'un texte relevant d'une autre anagnose (afférence inter-inter-intratextuelle). Bien sûr de tels rapprochements ne sont pas arbitraires mais doivent obéir à un certain nombre de contraintes que nous présentons plus bas (cf. par exemple, 4.3.3)

Un problème particulier surgit lorsque le lecteur ne peut pas retrouver dans un intratexte voisin l'interprétant d'une attribution sémique nécessaire à la constitution d'une nouvelle classe sémantique. Ceci peut provenir d'un intertexte limité ou simplement du fait que, même si le texte est présent, la partie de l'intratexte qui pourrait fournir l'interprétant n'a pas encore été interprétée.

Devant une nouvelle attribution sémique, le lecteur peut donc établir un interprétant implicite et peut-être idiolectal. Mais, dans ce cas, il doit l'expliciter dans un dictionnaire << personnel >>.  Ce dernier prend aussi la forme d'un texte spécial. Plus tard, s'il s'avère qu'il peut retrouver l'interprétant ailleurs, il est préférable de l'effacer de son dictionnaire personnel. La raison doit être claire : un nombre important d'interprétants personnels risque de diminuer la cohérence de l'interprétation dans la mesure où il signifie un mauvais choix de l'intertexte, un manque d'interprétation des textes voisins ou, en effet, une interprétation arbitraire, où la seule justification des attributions sémiques effectuées est, ni plus ni moins, une affirmation personnelle.

Seule exception à cette recherche systématique d'interprétants pour toute attribution sémique constituent, comme nous l'avons déjà mentionné, les attributions directes. Dans la mesure où nous prenons en compte les interprétants sémantiques seuls, c.-à-d. issus d'une classe sémantique, nous ne nous occupons pas des interprétants (pour la plupart morphosyntaxiques) qui sont à l'origine des attributions sémiques directes. Nous considérons que la compétence interprétative du lecteur et l'indice de la proximité syntagmatique qui caractérise en règle générale les éléments qui occupent les extrémités de ces attributions, sont largement suffisants pour les identifier. Même si tous les cas d'attribution directe ne sont pas aussi évidents que << un Gascon est vantard >>, les interprétants morphosyntaxiques ne doivent pas en principe poser de problème à l'analyse.

Trois notions semblent gouverner la mise en place d'une interprétation :

1.
les éléments textuels, cibles de l'interprétation
2.
les attributions sémiques, sources de la charge sémique de chaque élément textuel
3.
la structure sémique, c.-à-d. l'organisation interne de la matière sémique dans la classe sémantique finale
La constitution d'une classe sémantique (représentant le résultat d'une interprétation) est effectuée à partir d'un ensemble d'attributions sémiques. Chaque attribution sémique est appuyée sur un interprétant sémantique issu d'une classe sémantique déjà établie. Nous allons voir que les éléments d'une classe sémantique sont systématiquement positionnés au sein d'une même entité textuelle.

L'intégration de ces notions en une structure opératoire conduit à une notion de classe sémantique généralisée que nous nous proposons de présenter dans la suite.


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Theodore Thlivitis, 1998