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Interprétant et intertextualité

Souvent, l'interprétant et l'interprétation dont il est issu ne se trouvent pas situés dans la même situation de communication : l'interprétation précède évidemment sa transformation en interprétant et elle peut avoir été effectuée dans un univers textuel différent, voire attribuée à un autre lecteur (cf. notamment le cas des commentaires). La seule contrainte pour le système informatique est que le lecteur puisse trouver un moyen de << connecter >> (assimiler) les deux contextes. Une telle assimilation doit s'entendre comme une création d'une classe de pertinence interprétative commune et s'opère, généralement de deux manières : soit en situant deux textes dans une même anagnose, soit en connectant deux anagnoses différentes, à l'aide d'une relation sémantique intertextuelle (cf. plus bas, la discussion sur les éléments des classes sémantiques, dans 3.3.1). Une fois cette nouvelle contextualisation (ou re-contextualisation) effectuée, les interprétations d'une entité textuelle peuvent devenir interprétants d'une autre entité textuelle au sein du nouvel intertexte.

De cette manière, les interprétants des relations sémiques dans un texte peuvent se retrouver dans des textes différents. De plus, d'après F.Rastier [56, p.219] les interprétations peuvent être distinguées en intrinsèques et extrinsèques. Les premières utilisent des interprétants retrouvés dans le texte et les secondes des interprétants provenant d'autres textes. Un interprétant retrouvé dans un texte signifie que les sèmes qu'il produit étaient d'une manière ou d'une autre immanents au texte même.

Est-ce dire pour autant que dans notre cas un interprétant venant d'un autre texte produit des interprétations extrinsèques ?

La question est importante, car seules les interprétations intrinsèques semblent avoir, d'après cette définition, une cohérence contrôlable, les interprétations extrinsèques pouvant donner des résultats arbitraires. En effet les deux types d'interprétation peuvent être étendus pour correspondre à ce qui est appelé interprétation descriptive, pratiquée en philologie classique, et interprétation productive, plus << moderniste >>, dépendant des associations propres au lecteur, qui a donc la possibilité d'utiliser n'importe quelle source comme interprétant d'une relation sémique3.30. Sans vouloir restreindre l'usage du système seulement à la production d'interprétations intrinsèques, nous devons commenter le sens de ces termes selon notre vision d'un interprétant.

Nous pouvons déjà le dire : la réponse à la question précédente est négative. Car, comme nous avons déjà expliqué, la notion d'interprétant est utilisée dans un sens très précis : un interprétant est fortement lié à la classe sémantique qui l'utilise. Plus tard nous opérationalisons cette notion de liaison, en définissant un opérateur général de << liaison (inter)textuelle >> entre les éléments d'une classe et les éléments correspondants de leurs interprétants. Mais pour le moment, nous pouvons considérer que tant l'interprétant que la classe sémantique concernent le même sémème mais situé dans des contextes différents. Il s'agit donc d'une autre occurrence du sémème dans le même texte ou dans un texte différent au sein d'un même univers de textes (même anagnose).

Par exemple, une information sémique retrouvée dans un dictionnaire constitue un interprétant3.31 qui est aussi externe qu'un interprétant provenant d'un autre texte de l'anagnose. Dans les deux cas les sèmes (pour nous toujours afférents) concernent des sémèmes du texte. De plus, ils font toujours partie des relations sémiques entre ces sémèmes (par exemple en formant une isotopie) puisque, nous l'avons dit, une afférence est toujours établie dans le contexte de la création d'une classe sémantique. Ce qui fait que les interprétants, même s'ils proviennent d'un autre texte, font toujours partie d'une interprétation intrinsèque.

Cette liaison forte garantit que les sèmes introduits par un interprétant, même si celui-ci se trouve dans un autre texte, sont virtuellement présents au sémème interprété dans le texte3.32. Le lecteur, simplement, autorise tel ou tel rapprochement, en ajoutant tel ou tel autre texte dans son univers d'analyse. Pour effectuer une analyse cohérente il suffit d'ajouter peu de textes (mais pertinents) pour pouvoir y repérer l'ensemble des interprétants dont on a besoin pour l'analyse.

En d'autres termes, dans la mesure où l'interprétant, même s'il est externe, est aussi fortement lié au sémème interprété, il ne produit pas forcément des interprétations extrinsèques. De plus, en raison de cette liaison, construire un interprétant réellement extrinsèque devient une tâche lourde. Le système informatique n'autorise pas les relations arbitraires. Ainsi si l'on veut, par exemple, faire l'afférence de /mort/ à 'sourire', il sera nécessaire de créer une anagnose adéquate, dont l'interprétation permettra d'établir les briques nécessaires à la constitution de l'interprétant final, responsable de l'afférence. Un tel interprétant, même s'il donne lieu à une interprétation extrinsèque au texte, est tout de même retrouvé dans les textes de l'anagnose. Il produit donc une interprétation intrinsèque à l'anagnose.

Pour résumer : les concepts d'interprétation intrinsèque et extrinsèque doivent désormais être relativisées à la conception de l'interprétant (inter)textuel. Ainsi, plutôt que d'intériorité ou extériorité des éléments sémantiques, nous parlons de << facilité >> ou << difficulté >> de construire ces éléments à partir des sources qui sont déjà disponibles dans l'espace (inter)textuel de travail (i.e. l'anagnose). La << facilité >> et la << difficulté >> font référence à des niveaux de construction, comme nous allons le voir dans la suite et surtout dans le chap.4.


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Theodore Thlivitis, 1998