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Interprétant et interprétation

 

Nous utilisons le terme << interprétant3.29 >> d'une relation sémique pour parler d'un ensemble de relations sémiques (sources d'information) qui suffisent à la construction de la relation.

Il s'agit donc d'une notion plus restreinte que l'<< interprétant >> au sens qu'il est défini dans [60] : << l'interprétant d'une relation sémique peut être de nature linguistique mais aussi de nature non-linguistique. Par exemple, un geste ou une mimique peut commander l'actualisation d'un trait sémantique >> (p.213). Pour ce qui nous concerne et selon les principes de travail explicités dans le chap.2, nous nous limitons aux interprétants textualisés, c.-à-d. aux relations sémiques produites lors d'une interprétation d'un matériau textuel.

En fait, interprétation et interprétant sont des notions interdépendantes :

1.
une interprétation est potentiellement un interprétant de nouvelles relations sémiques, et, symétriquement,
2.
si on se limite à un univers textuel (cf. notre hypothèse sur le quasi-monde de textes, cf. 2.1.3) et qu'on ne considère pas les interprétants non-linguistiques, un interprétant est issu d'une interprétation et donne lieu à de nouvelles interprétations

Par exemple, la constitution d'une seconde interprétation dans l'analyse du sonnet << Le Salut >> de Mallarmé, [57, p.227], requiert un interprétant retrouvé dans Bibliographie rédigée par Mallarmé : << Ce sonnet, en levant le verre, récemment, à un Banquet de La Plume, avec l'honneur d'y présider >>.

Mais l'interprétant n'est pas donné. Il est construit, en précisément en interprétant.

Ainsi dans le cas toujours du sonnet de Mallarmé, en interprétant la note bibliographique en question : il faut bien comprendre que La Plume est une revue littéraire et il faut utiliser des connaissances encyclopédiques (voire socioculturelles) pour imaginer le rituel d'un banquet et pouvoir ainsi afférer les sèmes appropriés aux sémèmes du sonnet, e.g. /mousse de champagne/ à 'écume', /verre à champagne/ à coupe, etc. L'interprétant de ces afférences est issu de l'interprétation (dans ce cas assez complexe) d'une autre entité textuelle.

D'un autre côté, il serait pertinent de se demander si, dans le cas des sèmes dits inhérents, c.-à-d. issus des taxèmes de définition, l'interprétant est ou non de même issu d'une interprétation.

Notre réponse est affirmative. Les sèmes inhérents ne sont pas universellement admis mais, comme nous l'avons déjà expliqué, les classes de définition pertinentes pour une interprétation dépendent du contexte de l'analyse. Le lecteur utilise prioritairement des dictionnaires propres au domaine de son analyse (par opposition aux dictionnaires génériques). Et, dans tous les cas, même si les connaissances dans un dictionnaire semblent trivialement exposées, la constitution des classes sémantiques pertinentes est le résultat d'une interprétation. Certes, il s'agit d'un processus évident (les dictionnaires sont fait pour) mais nous considérons que ce processus est une interprétation. Peut-être une interprétation de degré << minimal >>, mais une interprétation tout de même, dont les interprétants sont au moins les interprétants morphosyntaxiques (qui sont toujours utiles pour la compréhension des phrases) et les interprétants issus des normes de lecture d'un dictionnaire (i.e. des normes d'extraction de l'information sémantiquement pertinente : par exemple, le fait qu'il y a une entrée, ensuite une explication la concernant, plusieurs sens et acceptions, chacune précédée d'un chiffre ou d'une lettre, etc.).

En faisant cette hypothèse, nous consacrons l'idée suivante laquelle un interprétant est toujours issu d'une interprétation (plus ou moins complexe) d'une matière textuelle3.28.

Nous précisons déjà que les seuls interprétants qui seront pris en compte dans cette entreprise applicative sont les interprétants issus d'interprétations sémantiques. Une interprétation qui est uniquement basée sur des interprétants morphosyntaxiques est considérée comme une interprétation directement donnée par l'utilisateur.

Ces remarques prises en compte, nous pouvons considérer qu'une interprétation peut être promue en interprétant, selon une mise en contexte appropriée et initiée par le lecteur, et, en plus, qu'un interprétant est toujours le résultat d'une telle promotion d'une interprétation par ailleurs disponible (e.g. au niveau de l'anagnose). Cette vision constitue la pierre angulaire pour comprendre nos choix formalistes, dans le chapitre suivant.


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Theodore Thlivitis, 1998