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Interprétation et intertexte

Le choix du sous-titre est révélateur. L'interprétation et l'intertextualité sont pour nous deux notions fortement et inexorablement reliées.

Nous expliquons tout de suite que l'intertexte d'une entité textuelle e en général (e.g. lexie, phrase, texte) est défini comme << l'inter de l'entité textuelle e >>, c.-à-d. les entités textuelles de même niveau qui se trouvent en relation avec elle dans une même entité textuelle englobante (cf. 3.1.3). De cette façon, si les niveaux textuels sont définis comme dans 3.1, alors l'intertexte d'une lexie est le texte d'où elle est tirée et l'intertexte du texte est l'anagnose dans laquelle il est analysé. Les << relations >> peuvent être de divers types, plus ou moins complexes. Nous nous limiterons ici aux relations d'<< afférence généralisée >>, que pour le moment nous pouvons comprendre comme une attribution sémique dont l'origine (ou source d'information sémique ou, mieux, interprétant, cf. notre discussion dans 3.2.3) se trouve dans une autre entité textuelle, plus ou moins << voisine >>.

Dans l'exemple de l'analyse du sonnet de Mallarmé de tout à l'heure (cf. 3.2.1), une telle afférence serait par exemple l'attribution du sème /maritime/ au sémème 'poupe', avec comme source une attribution identique mais explicite retrouvée dans un dictionnaire.

Après cette petite intuition à visée définitoire, nous pouvons tirer au clair ce que le titre de la section suggère :

on ne peut pas construire une interprétation d'une entité textuelle sans prendre en compte son intertexte.
Mais aussi, au sens inverse,
on ne peut pas créer un intertexte sans se baser sur l'interprétation des entités textuelles.

Et ceci est vrai même dans le cas trivial où l'interprétation est effectuée sans aucune connaissance du domaine ou de la pratique. On aura toujours besoin d'utiliser (généralement de manière implicite) un ensemble de connaissances lexicales avant d'arriver à une quelconque interprétation. Ces connaissances sont retrouvées sous forme stabilisée dans des dictionnaires et se présentent, pour notre cas, sous forme d'afférences entre les parties correspondantes du dictionnaire et du texte.

L'intertexte existe donc et comprend au moins ces dictionnaires.

À l'inverse, pour retrouver les lexies et pour créer les relations élémentaires au sein d'un dictionnaire, il faut pouvoir au moins reconnaître les signes dans la masse des signifiants. Ceci requiert une première interprétation (souvent triviale mais indispensable), avant même d'établir les relations intertextuelles entre les signifiés du dictionnaire et du texte.

Dans le cas général, donc, l'interprétation détermine et elle est déterminée par le choix de l'intertexte.

La question sur celui qui est est l'origine -- l'interprétation ou l'intertexte ? -- n'a pas plus d'intérêt que l'interrogation sur la primauté de l'isotopie ou de la classe définitoire en contexte : ce qui nous préoccupe n'est pas le processus cognitif de la constitution d'une interprétation mais le fait que l'intertexte et l'interprétation sont liés et qu'ils doivent être considérés ensemble3.27.

Nous allons nous centrer donc plutôt autour des rapports entre l'interprétation et l'intertextualité, et se fixer comme premier objectif l'adaptation du mécanisme d'afférence à cette conception conjointe de l'interprétation avec l'intertextualité en vue toujours de la mise en \oeuvre d'un système informatique.

Dans [60] l'interprétation est définie comme << l'assignation d'un sens à une suite linguistique >> (p.222). Cette assignation est effectuée par un lecteur dans une situation de communication (cf. chap.2 et [57, p.47]). Si l'on veut donner à une application informatique un quelconque pouvoir de suggestion sémique, il faut absolument analyser les mécanismes de cette << assignation >>.

Heureusement une telle analyse est possible, du moins jusqu'à une certaine profondeur. La raison est qu'une interprétation peut être rationalisée à l'aide d'un ensemble de relations sémiques. Et une << relation sémique est construite au moyen d'un interprétant >> [56, p.55].

C'est précisément en insistant sur la notion d'interprétant et en l'intégrant aux notions d'interprétation et d'intertextualité que nous arrivons à proposer une assistance à l'afférence d'un lecteur, qui, dans le cas général, reste inspirée mais informatiquement imprévisible.

Sans doute, la notion d'interprétation peut être comprise de plusieurs façons. Dans ce qui suit, nous allons considérer l'interprétation comme une correspondance entre une relation sémantique (i.e. classe sémantique) et un matériau textuel (e.g. une lexie d'un texte situé dans un intertexte) appuyée par un interprétant sémantique (e.g. un topos explicite dans un autre texte).


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Theodore Thlivitis, 1998