Le titre est trompeur. Nous n'allons (évidemment) pas formaliser la notion d'interprétation. Nous allons néanmoins essayer de formaliser une notion qui combine deux aspects importants du processus de l'interprétation : d'un côté, la notion de << structure sémantique >> qui exprime le << résultat >> d'une interprétation et d'autre côté la notion fondamentale de << prémisses >> sémantiques de l'interprétation, cette information sémique nécessaire à la constitution d'une nouvelle interprétation et qui appartient à une notion plus large, appelée souvent interprétant sémantique [58], [56, p.55 et p.189 entre autres], [67].
Dans notre formalisme les << prémisses >> d'une interprétation sont elles-mêmes des interprétations, venant soit d'un même texte soit de textes différents. Partant du constat que toute interprétation (au sens du résultat obtenu) peut devenir interprétant dans la constitution d'une nouvelle interprétation, nous définissons une seule notion, la classe sémantique ( CS) qui intègre ce jeu récursif : une CS est construite à partir d'un ensemble d'autres CS qui donnent l'information sémique aux éléments de la nouvelle classe.
Techniquement il devient nécessaire de distinguer entre une classe sémantique CS de niveau zéro et les classes sémantiques de niveau supérieur. Les classes de niveau zéro ne présupposent pas une autre classe pour leur constitution, elles sont locales au sein d'un texte et totalement lexicalisées. Bien que techniquement nécessaires, nous pouvons dire que les CS de niveau zéro correspondent à une notion d'interprétation << directe >>, totalement explicitée par l'auteur au sens où elle est constituée de structures sémantiques dans lesquelles tant la lexie que l'attribution sémique sont lexicalisées dans le texte (cf. la discussion dans 3.2.5. Bien sûr une interprétation n'est jamais directe et même à ce niveau, un ensemble d'interprétants est nécessaire (ne serait-ce que des interprétants morphosyntaxiques) ; simplement, nous choisissons comme point de départ de la définition (récursive) des CS ce niveau d'interprétation << lexicalisée >>.
Les classes de niveau supérieur sont définies en second lieu. Une telle classe utilise dans sa définition un ensemble de classes de niveau inférieur ; la définition est forcément récursive.
Le noyau d'une CS est la structure sémantique de ses éléments. Nous avons proposé une structure sémantique à base d'ensembles typés de relations élémentaires (inspirées des relations binaires) (cf. 4.3.4), appelés structures sémantiques typées ou SST. Même s'il semble assez contraignant, ce choix couvre la description d'un ensemble suffisant de relations sémiques. La quasi-totalité des structures sémiques dans [56] et [57] sont basées sur des relations binaires. D'autre part, une relation n-aire, sous certaines conditions élémentaires, peut être exprimée à l'aide d'un ensemble de relations binaires.
Une des propriétés fondamentales d'une structure sémantique typée ( SST) est sa dynamique, i.e. sa capacité d'être combinée avec d'autres SST pour former une nouvelle structure. L'opérateur principal qui concerne les SST est la construction d'une SST à partir d'un ensemble d'autres SST. Cet opérateur doit être vu comme une sélection d'un sous-ensemble des informations sémiques des SST-sources pour caractériser les éléments de la SST-cible. Par opposition à la CS, cette définition n'est pas récursive ; par contre elle est typée (e.g. construction isotopique). Nous avons déjà vu un ensemble de types utiles pour l'application visée. Dans la formalisation que nous suivons, leur sens est destiné à être déterminé de manière plus précise.
La SST étant le noyau d'une CS, la logique du formalisme voudrait qu'on bâtisse sur elle la définition des CS et de leurs interactions. Deux raisons nous ont poussé à inverser l'ordre et présenter initialement la définition des CS, de leurs interactions et propriétés, en laissant pour la fin la définition de la SST. D'une part, nous avons voulu mettre l'accent sur le sujet principal de ce travail qui concerne plutôt les aspects intertextuels du processus d'interprétation conduisant la formation d'une structure sémantique, que les structures sémantiques elles-mêmes, considérées de façon isolée.
D'autre part, dans une perspective d'évolution du système, les besoins d'un utilisateur peuvent être tels qu'un nouveau type de construction de SST puisse s'avérer nécessaire ; ou peut-être on aura besoin de structures autres que les ensembles typés de relations binaires (e.g. un formalisme à base de graphes conceptuels peut sembler plus adapté pour un certain type d'analyses sémantiques). À l'image d'une programmation modulaire, facilement maintenable et modifiable, nous avons préféré différer la prise en compte de la définition de la SST et tester la possibilité de créer un formalisme << modulaire >> qui pourrait accepter différentes formalisations pour la partie SST, selon les besoins de l'application. De cette façon, le formalisme est plus proche d'un objectif d'application informatique, notamment d'une application orientée objet. Le passage du premier à la seconde est plus naturel.
Conscients de la difficulté d'une << méta-formalisation >> qui produirait différentes formalisations selon le paramètre SST, nous avons juste essayé de repousser la définition de la SST tant que ceci n'était pas absolument nécessaire. Évidemment, à plusieurs endroits, nous avons eu besoin d'utiliser effectivement quelques fonctions de la SST (par exemple, pour récupérer les éléments textuels d'une SST). Nous avons donc explicité de manière informelle le fonctionnement des opérateurs nécessaires (à l'image d'une spécification informelle en informatique) et établi un ensemble de contraintes formelles sur ces opérateurs.
La formalisation d'une SST doit respecter à la fois les contraintes formelles et les spécifications informelles.
Une remarque est ici nécessaire. Ces opérateurs sont appliqués sur une SST et donc ne peuvent être formellement complètement définis qu'après sa définition. Par contre, la sémantique de ces opérateurs, exprimée informellement, est tout à fait possible. Il s'agit ensuite, de vérifier que la définition précise de SST est compatible avec la description informelle.
Ces opérateurs, dont le besoin surgit au fur et à mesure que le formalisme s'achève, jouent le rôle de << spécification >> formelle de la notion de SST: ils contraignent et ils guident sa définition finale en explicitant les possibles << interactions >> du reste du formalisme avec une SST. Ils correspondent au fond, pour nous, à une notion d'interface entre deux modules d'un système informatique. Si chaque module est cohérent et que l'interface de leur inter-communication est bien définie, alors les deux modules peuvent être définis indépendamment et combinés ensuite dans un tout cohérent. Aussi simple ou compliquée la définition exacte de la SST soit-elle, si elle obéit aux spécifications des opérateurs demandés4.9, elle pourra être combinée avec le reste du formalisme sans difficultés.
Finalement, nous avons constaté que nous avons pu différer la définition de la SST jusqu'à la fin du (reste du) formalisme, modulo, comme nous avons déjà mentionné, un petit ensemble de fonctions et opérateurs sur une SST. Nous poursuivons cette présentation, qui nous semble plus proche de nos objectifs qui ne sont pas d'atteindre la capacité formelle de définir une SST extrêmement compliquée et complète, mais plutôt de donner un cadre intertextuel aux interactions entre CS.
Cependant et à titre d'exemple, nous allons donner tout au long du formalisme des CS la formalisation de la SST que nous avons choisie.